Une Américaine très européenne
Edith Wharton et Sainte-Claire-du-Château
Edith Newbold Jones was born in 1862 into a patrician family in New York, then a semi-rural, quiet and slow-paced town. At the age of four, she moved with her family to Europe, a life-changing experience for her. The move was made in order to economise, the slump in property values after the Civil War having affected the Joneses like many other people of their class. However, Edith’s parents were not poor; they lived in good hotels and apartments and were never less than comfortable. Moving between Italy, Spain and France, Edith absorbed Europe’s culture and sense of stability and tradition, so that when she returned to New York at the age of 10, she found it ugly, drab and alien. The society of the time, depicted in detail in her Pulitzer prize-winning novel The Age of Innocence, seemed parochial, complacent and above all depressingly conventional.
Edith Newbold Jones est née en 1862, troisième enfant d’une famille patricienne de New York, une ville alors semi-rurale, calme et tranquille. À l’âge de quatre ans, elle déménage avec sa famille en Europe, une expérience qui va changer sa vie. Ce déménagement a pour but de faire des économies, l’effondrement de la valeur des propriétés après la guerre civile ayant affecté les Jones comme beaucoup d’autres personnes de leur classe. Cependant, les parents d’Edith ne sont pas pauvres. Ils séjournent dans des hôtels et appartements de bonne qualité et ne manquent jamais de confort. En se déplaçant entre l’Italie, l’Espagne et la France, Edith absorbe la culture et le sens de stabilité et de tradition de l’Europe, si bien que lorsqu’elle revient à New York à l’âge de 10 ans, elle la trouve laide, terne et étrangère. La société de l’époque, dépeinte en détail dans son roman L’âge de l’innocence, récompensé par le prix Pulitzer, lui semble étroite, complaisante et conformiste jusqu’à la déprime.
Married in 1885 at the age of 23, she and her husband Edward Robbins “Teddy” Wharton bought a house in Newport, where she made her first garden with the help of designer Ogden Codman. But every year between 1886 and 1897, the Whartons spent several months in Europe, mostly in Italy. Extremely susceptible to the beauties of colour, landscape, sea and sky, Edith fell in love with the Italian style of gardening, with its grottoes, terraces, statues and fountains. Her book Italian Villas and their Gardens appeared in serial form in 1903; and she imported many features of Italian gardens into her own American gardens, firstly in Newport, and from 1901 at The Mount, her house in Lenox in Massachusetts. Here, the garden was created to her design, with the help of her niece, the garden designer Beatrix Ferrand.
Mariée en 1885 à l’âge de 23 ans, elle et son mari Edward Robbins “Teddy” Wharton achètent une maison à Newport, où elle aménage son premier jardin avec l’aide du designer Ogden Codman. Mais chaque année entre 1886 et 1897, les Wharton passent plusieurs mois en Europe, principalement en Italie. Extrêmement sensible aux beautés de la couleur, du paysage, de la mer et du ciel, Edith tombe amoureuse du style italien avec ses grottes, terrasses, statues et fontaines. Son livre Italian Villas and their Gardens (Villas italiennes et leurs jardins) paraît en série en 1903 ; et Edith introduit de nombreux éléments italiens dans ses propres jardins américains, d’abord à Newport, puis à partir de 1901 à The Mount, sa maison à Lenox dans le Massachusetts. Ici, c’est Edith elle-même qui conçoit le jardin, avec l’aide de sa nièce, l’architecte paysagiste Beatrix Ferrand.
By 1908, Edith’s marriage was in trouble. Teddy had a history of mental instability; today he would probably be diagnosed as bipolar. By now, Edith was a best-selling author and a household name. She was becoming more and more disenchanted with America and longed to establish herself permanently in France. The Whartons had been in the habit of making long stays in Paris, finally settling in a rented apartment in the Rue de Varenne. Over the years from 1907 to 1911, living in Paris took the place of living at The Mount, which was sold in 1911. Teddy’s mental state worsened and the Whartons’ marital problems with it. They separated in 1912 and divorced in 1913.
En 1908, le mariage d’Edith bat de l’aile. Teddy avait des antécédents d’instabilité mentale ; aujourd’hui, il serait probablement diagnostiqué comme bipolaire. À cette époque, Edith est un auteur de best-sellers et son nom est connu de tous. Elle se trouve de plus en plus désenchantée par l’Amérique et souhaite s’établir définitivement en France. Les Wharton ont l’habitude de faire de longs séjours à Paris, s’installant finalement dans un appartement de la rue de Varenne. De 1907 à 1911, la vie à Paris remplace la vie à The Mount, vendu en 1911. L’état mental de Teddy s’aggrave et les problèmes conjugaux des Wharton avec. Ils se séparent en 1912 et divorcent en 1913.
Edith lived in the Rue de Varenne till 1919. She found a ready-made society among the wealthy Americans established in Paris, but as a celebrated author, she was soon accepted into French society as well and made many friends, particularly among the intellectuals, conversationalists and artists. On the outbreak of war in 1914, she was determined to make herself useful. Under the auspices of the French Red Cross, she opened a workshop providing employment for indigent young women. She became involved with many other organizations and charitable bodies. Her main work lay in providing hostels for Belgian refugees, but she also opened depots for groceries and clothing, and organized fund-raising committees and hospitals for victims of tuberculosis. She worked tirelessly, using her considerable managerial skills to the full, and was recognized and honoured by both the French and Belgian governments. In March 1916, she was awarded the Légion d’Honneur; and other honours followed from both Belgium and France.
Edith habite la rue de Varenne jusqu’en 1919. Elle trouve une société toute faite parmi les riches Américains établis à Paris, et en tant qu’auteur célèbre, elle trouve également une place dans la société française et se fait de nombreux amis, en particulier parmi les intellectuels, les causeurs et les artistes. Lorsque la guerre éclate en 1914, elle est déterminée à se rendre utile. Sous les auspices de la Croix-Rouge française, elle ouvre un atelier de travail pour les jeunes femmes sans ressources. Elle s’engage dans de nombreuses autres organisations et œuvres de bienfaisance. Elle s’occupe principalement de l’hébergement de réfugiés belges, mais en plus elle ouvre des dépôts de produits alimentaires et de vêtements, organise des comités de collecte de fonds et ouvre des hôpitaux pour les tuberculeux. Elle travaille sans relâche, mettant à profit ses compétences considérables en matière de gestion, ce qui lui vaut d’être reconnue et honorée par les gouvernements français et belge. En mars 1916, elle reçoit la Légion d’honneur ; d’autres distinctions suivront, tant de la part de la Belgique que de la France.
By 1919, Edith had acquired two new homes in France. The first was at St. Brice, half an hour’s drive north of Paris: a run-down 18th century country house with extensive grounds, which she renamed the Pavillon Colombe. The second was in Hyères, on the site of a 17th century convent built into the ruins of a mediaeval castle high above the old town. In 1919 Edith rented this house on a long lease and renamed it Ste-Claire-du-Château. She bought the property in 1927 and settled down to devote herself to her writing and her two gardens, living at Ste-Claire from November to April and the Pavillon Colombe for the rest of the year.
En 1919, Edith acquiert deux nouvelles résidences en France. La première se trouve à St. Brice, à une demi-heure de route au nord de Paris : une maison de campagne délabrée du XVIIIe siècle avec un vaste terrain, à laquelle elle donne le nom du Pavillon Colombe. La seconde se trouve à Hyères, sur le site d’un couvent du XVIIe siècle construit dans les ruines d’un château médiéval surplombant la vieille ville. En 1919, Edith loue cette maison et la rebaptise Ste-Claire-du-Château. Elle achète la propriété en 1927 et désormais se consacre à son écriture et à ses deux jardins, habitant Ste-Claire de novembre à avril et le Pavillon Colombe pendant les autres mois de l’année.
Passionately interested in interior design as well as gardening, Edith felt strongly that a garden should be designed in affinity with the house it sheltered, respecting the “spirit of the place. In Hyères she was one of a group of pioneering landscapers who were abandoning the nineteenth century fashion for brightly coloured bedding plants and English lawns. Instead, they used indigenous as well as imported tropical or sub-tropical species, creating masses of rock plants, flowering shrubs and climbers and keeping in mind the relationship between the garden and the wild landscape surrounding it. Edith liked to mix cultivated plants with the wild ones in a firm structural design planted with drifts of colour in the style of Gertrude Jekyll. She wanted a dramatic effect providing colour and beauty throughout the winter months she spent in Hyères.
Passionnée de décoration intérieure aussi bien que de jardinage, Edith est convaincue qu’un jardin doit être conçu en affinité avec la maison qu’il abrite, en respectant “l’esprit du lieu”. À Hyères, elle fait partie d’un groupe de paysagistes pionniers qui veulent abandonner la mode du XIXe siècle pour les plantes à massifs aux couleurs vives et les pelouses anglaises. En revanche, ils utilisent des espèces indigènes et importées, tropicales ou subtropicales, créant des masses de plantes de rocaille, d’arbustes à fleurs et de plantes grimpantes, tout en gardant à l’esprit la relation entre le jardin et le paysage sauvage qui l’entoure. Edith aime mélanger les plantes cultivées avec les plantes sauvages dans une conception structurelle ferme, plantée en bandes de couleurs dans le style de Gertrude Jekyll. Elle cherche un effet dramatique qui apporte de la couleur et de la beauté tout au long des mois hivernaux qu’elle passe à Hyères.
The garden at Ste-Claire was not an easy one. The soil was poor and shallow, the climate liable to drought on the one hand and extreme frosts on the other. Irrigation was essential, as was drainage, since autumn brought heavy and damaging rainstorms. The expense was huge: soil had to be transported, terraces built, gardeners hired, pergolas and paths constructed. Edith ordered her plants from French nurseries or acquired seeds and plants from fellow-gardeners in the time-honoured manner.
Le jardin de Ste-Claire n’est pas facile. Le sol est pauvre et peu profond, le climat propice à la sécheresse d’une part et aux fortes gelées d’autre part. L’irrigation s’avère indispensable, de même que le drainage, vu les pluies automnales torrentielles et dévastatrices. Les dépenses sont considérables : il faut transporter la terre, aménager des terrasses, engager des jardiniers, construire des pergolas et des allées. Edith commande ses plantes à des pépiniéristes français ou se procure des graines et des plantes auprès de ses amis jardiniers, comme les jardiniers ont toujours fait.
Edith also exchanged advice with her circle of gardening friends, especially Major Lawrence Johnston, whose gardens of Hidcote Manor and Serre de la Madone she much admired. She was a close friend of the art historian Bernard Berenson and was a frequent visitor to his iconic garden I Tatti near Florence. Closer to hand was the Clos St. Bernard owned by the Vicomte Charles de Noailles, who described Edith as “a great gardener …. and very serious technically”. And there was her old friend the novelist Paul Bourget whose garden Le Plantier was at Costebelle, not far from Hyères.
Edith échange également des conseils avec ce cercle d’amis, notamment avec le Major Lawrence Johnston, dont elle admirait beaucoup les jardins de Hidcote Manor et de Serre de la Madone. Elle est une amie proche de l’historien de l’art Bernard Berenson et visite fréquemment son jardin iconique I Tatti près de Florence. Plus près se trouve le Clos St. Bernard, propriété du Vicomte Charles de Noailles qui décrive Edith comme “une grande jardinière …. et très sérieuse sur le plan technique“. Il y a aussi son vieil ami le romancier Paul Bourget, dont le jardin Le Plantier se trouve à Costebelle, non loin d’Hyères.
Edith in her garden at Ste-Claire-du-Château
The garden at Ste-Claire has changed a great deal since Edith’s d ay, but there are many descriptions and photos of it at its height. The photos are faded, but the descriptions have kept their freshness. A close friend, Daisy Chanler, described it thus:
Le jardin de Ste-Claire a beaucoup changé depuis la mort d’Edith, mais il existe de nombreuses descriptions et photos du jardin à son apogée. Les photos sont défraîchies, mais les descriptions ont gardé leur fraîcheur. Une amie proche, Daisy Chanler décrit le jardin ainsi :
A succession of rock-gardens skilfully planted look as if they had nestled there of themselves, whereas they are full of exotic rarities collected from all parts of the world. There is no end to the flowers and the flowering trees and shrubs … There are few paths; the beauties of the garden are reached by a maze of stone steps. A flock of dazzling white pouter pigeons … group themselves about the drinking fountain…
Des rocailles successives savamment plantées semblent s’être nichées là d’elles-mêmes, alors qu’elles sont pleines de raretés exotiques collectées dans toutes les parties du monde. Les fleurs, les arbres et les arbustes à fleurs sont innombrables. ….. Il y a peu de chemins, on accède aux beautés du jardin par un labyrinthe de marches en pierre. Une volée de pigeons voyageurs d’un blanc éclatant … se regroupe autour de la fontaine …
Edith herself wrote of the unparalleled view:
Edith elle-même décrit la vue incomparable :
… we look south, east and west, “miles and miles”, and our quiet-coloured end of evening presents us with a full moon standing over the tower of the great Romanesque church just below the house, and a sunset silhouetting the “Iles d’Or” in black on a sea of silver.
… nous regardons vers le sud, l’est et l’ouest, “des kilomètres et des kilomètres”, et notre fin de soirée tranquille et colorée nous offre une pleine lune se dressant au-dessus de la tour de la grande église romane située juste en dessous de la maison, ainsi qu’un coucher de soleil silhouettant les “Iles d’Or” en noir sur une mer d’argent.
In an unpublished essay, she describes the garden in spring:
Dans un essai non publié, elle décrit son jardin au printemps :
The last almond blossoms wave a goodbye to winter towards the middle of February, just as the reddening of the peach-buds begins to announce the new season. By that time, too, Prunus blieriani is a great rosy cloud, Kennedya trifoliata is hanging out its violet fringes, buds are thick on the Deutzias, Exochorda grandiflora, Prunus moseriana, Paeonia arborea, the hybrid Pyrus japonicas, and the early-blooming lilacs, and in the hot sheltered rock garden Aloe cilaria is covering itself with scarlet spikes and Aloe salm-dyckiana and its hybrids are throwing up their fiery rockets.
Les dernières fleurs d’amandier font leurs adieux à l’hiver vers la mi-février, juste au moment où le rougissement des boutons de pêcher commence à annoncer la nouvelle saison. À cette époque, le Prunus blieriani est un grand nuage rose, le Kennedya trifoliata déploie ses franges violettes, les bourgeons sont nombreux sur les Deutzias, Exochorda grandiflora, Prunus moseriana, Paeonia arborea, les hybrides de Pyrus japonica et les lilas à floraison précoce, et dans le jardin de rocaille chaud et abrité, l’Aloe cilaria se couvre de pointes écarlates et l’Aloe salm-dyckiana et ses hybrides lancent leurs fusées ardentes.
Edith’s gardens were her private refuges. In a diary entry in 1926, she records her return to Ste-Claire: Back again after eight months away. Oh, the joy of being alone – alone; of walking about in the garden of my soul.
Les jardins d’Edith sont ses refuges privés. En 1926, elle note dans son journal intime son bonheur d’être de retour à Ste-Claire. Je suis de retour après huit mois d’absence. Oh, la joie d’être seule – seule ; de me promener dans le jardin de mon âme.
Edith Wharton died in 1936. Since her death, Ste-Claire has had a mixed fate. In her will, Edith bequeathed it to a close friend, but 40% inheritance tax combined with the very high cost of upkeep and endless repairs made it impossible to maintain. Ste-Claire was sold during the war, and in subsequent years it passed through various hands until the town of Hyères acquired it in the late 1950s with the aim of turning it into an educational establishment or health facility. In 1979 the property was described as empty and decaying with the gardens overgrown and unkempt. Today however, Edith’s garden has become a public park (something she would certainly have hated) and it now houses the offices of the Parc National de Port-Cros. The garden has been renamed the Jardin du Castel Sainte-Claire.
Edith Wharton est morte en 1936. Depuis sa mort, Ste-Claire a connu un destin varié. Dans son testament, Edith a lègue maison et jardin à une amie proche ; mais les droits de succession de 40 %, combinés au coût très élevé de l’entretien et des réparations incessantes, ont nécessité la vente de la propriété pendant la guerre. Dans les années suivantes Ste-Claire a connu plusieurs propriétaires, jusqu’à son achat par la ville d’Hyères à la fin des années cinquante. En 1979, on a décrit la propriété comme étant vide et délabrée, avec des jardins envahis par la végétation et non entretenus. Aujourd’hui, le jardin d’Edith est devenu un parc public (ce qu’elle aurait certainement détesté) et il abrite les bureaux du Parc national de Port-Cros. Le jardin se nomme maintenant « Jardin du Castel Sainte-Claire ».
Text: Michèle Bailey
Source: Hermione Lee, Edith Wharton, Vintage Books, 2008